Quel est l’optimum global d’une Entreprise ? C’est une question fréquemment posée. Et je pense que la réponse est souvent partielle, voire erronée.
Constat : nous vivons dans un monde qui change tout le temps. La concurrence change tout le temps, avec des nouveaux produits ou services, ou des nouveaux prix “agressifs”. Les ressources internes de l’entreprise changent tout le temps (parce que les fournisseurs changent leurs produits ou services, parce que les employés eux-mêmes changent – partent ou arrivent ou aspirent à d’autres méthodes de travail, etc). Notre environnement écologique lui-même change tout le temps et nous réserve quelques surprises sur les décennies à venir. L’environnement géopolitique est instable, et peut lui aussi changer très rapidement, on le voit actuellement.
Or, l’optimum global est le résultat d’un calcul savant, avec une construction par empilage de briques de plus en plus complexe. Il met en place des outils (souvent chers à mettre en œuvre puis à entretenir) et des processus “optimisés” (qui fait quand quoi) avec des workflows rapides et immuables.
Parfois, l’optimum n’est que local : telle fonction (tel service, telle filiale) a décidé et réussi à optimiser ses processus internes (en les automatisant, par exemple) et malheureusement au détriment potentiel des autres services. Combien de fois ai-je entendu la phrase : “à toi de suivre ; moi, j’ai fait mon mieux pour être efficace et mon taux de service a été amélioré de (..) %”, suivi de la réponse d’un collègue d’un autre service (filiale, fonction) : “tu es bien gentil, mais ce faisant, nous, nous avons perdu (…) % de ROI sur nos projets”. Et là, démarrage d’une petite guerre de gros égos carriéristes…
Parfois, c’est l’entreprise dans son entièreté qui pense avoir trouvé un optimum global (mise en place de tel CRM dont la réputation n’est plus à faire, mise en œuvre du nouvel automate ultra-moderne qui fait tout et mieux encore en “fin de chaîne”, etc etc).
Et patatras : la concurrence a changé et impose – a un énorme succès avec – un nouveau paradigme de service, ou le nouveau truc à la mode que le monde entier s’arrache… en contradiction avec les processus actuels (certes optimisés).
Et patatras : le client majeur ne l’est plus – client – et le meilleur processus, bien optimisé et outillé, et qui visait précisément à lui rendre des services spécifiques, n’est plus utile…
Et patatras : les outils utilisés (et installés à grands frais) sont dépassés, ou nécessitent une nouvelle installation technique à quelques millions d’euros, voire pire, un hébergement “génial, qui fait tout” – et c’est vrai… – et qui multiplie le coût annuel d’utilisation d’un facteur 2 à 3…
Et patatras : tel événement sanitaire ou géopolitique déstabilise la Supply Chain et interdit les livraisons depuis ou vers tel et tel pays…
Et je ne vous parle même pas – ah si, finalement – des légitimes attentes des clients/usagers/électeurs sur le climat (“il nous faut des voitures à hydrogène”), sur la démocratie (“votre entreprise ne peut pas faire affaire avec les entreprises de ce pays, avec un dictateur notoire”), sur la paix sociale (“vous avez bien profité des aides publiques et maintenant, vous délocalisez ?”)… toutes sortes de demandes qui contredisent certaines de nos pratiques, héritées du passé, et qu’une publicité défavorable mets en lumière (un peu de “truc-washing” suffira -il vraiment ?).
Et, parfois, les patatras s’ajoutent, se conjuguent, s’amplifient dans leurs effets. L’entreprise optimale… est devenue une entreprise sclérosée, sur une position “automatisée et optimale”, et absolument inflexible (” c’est la règle…”), et donc, si non dépassée, du moins dépassable…
Alors, comprenons nous bien : je ne refuse pas les processus, ni les outils d’automatisation (j’ai été Directeur Informatique et Organisation pendant pas mal d’années…) . Néanmoins, je suis étonné que certains semblent ignorer ces vagues successives de changement qui ont fait l’histoire de l’espèce humaine et qui semblent penser que l’on peut construire ainsi des tours de Babel où s’empilent, au gré des “optimisations”, des couches de plus en plus complexes de processus et d’organisation. Autant pour les sciences dites dures, je n’ai pas d’inquiétude majeure sur ce type de constructions, autant j’affirme que le meilleur optimum d’une entreprise (mais aussi d’une famille, d’une mairie ou d’une commune, d’une région, d’un état, bref d’un groupe d’humains ) est celui qui permet toutes les réelles flexibilités, sans pâtir globalement d’une inefficacité générée par des processus ou des outils trop lourds, incapables de répondre à des nouveaux problèmes court terme et difficilement évolutifs dans le moyen terme.

Qu’est-ce qui rend nos collègues (familles, amis, politiques) réactifs, intelligents, rapides, heureux de venir travailler (jouer, aimer, gérer les communs) tous les matins, capables d’effort collectif ou social ? Leur capacité à prendre des décisions locales, collaboratives, pour des actions qui font du sens à leur niveau et du sens en terme de valeurs humaines. Et des décisions qui sont en même temps alignées sur une vision et un cadre global nécessaires à l’entreprise (à la famille, à la mairie, à la commune, au pays), vision et cadre sans lesquels ce serait la cacophonie.
Alors, pensez agilocratie. Développez une vision cristal claire de votre entreprise (c’est le phare pour tous, la direction à suivre, l’ultime juge de paix), adossée sur un cadre simple, cohérent, avec peu de règles mais strictement suivies. Combattez les guerres d’égo et oubliez votre petit manuel de Machiavel. Donnez (redonnez) du pouvoir à vos équipes ; mais vraiment, avec une réelle délégation, une réelle autonomie. Et faites leur confiance. Ici et maintenant.
